Extrait du livre In&Out, un festival de cinéma pas comme les autres, ouvrage collectif qui revient sur l'histoire du Festival In&Out de Nice. Édité par Les Ouvreurs en mars 2024. Chapitre rédigé par Rémi Lange, pages 50 à 52.
• Des souvenirs du Festival
In&Out ?
Je me
souviens de la journée qui m'a été consacrée en 2015, avec les diffusions de
mes deux premiers longs métrages OMELETTE et LES BROUILLÉS, de la présence de la formidable et irremplaçable
TERESA MAFFEIS, grande figure militante et humaine de Nice, généreuse et
toujours souriante. Je me souviens de la joie qui m'a envahi quand j'ai appris
que j'ai reçu le PRIX DU JURY pour mon film LE CHANTEUR... Car, après le
FREEDOM AWARD reçu pour TARIK EL HOB en 2003 à LOS ANGELES, c'est un des rares
prix importants que j'ai reçus dans ma "carrière" !
• Définis-tu ton
travail comme « queer » ?
La plupart
de mes films traitant de l'homosexualité (sauf PARTIR), de l'intersexualité
(MES PARENTS), ou encore de la transidentité (LE CHANTEUR, ou mon dernier film
LE MEXIQUE M'EXCITE), je peux dire, oui, que mon cinéma fait partie du cinéma
"queer". Pour moi, le cinéma "queer" c'est un cinéma de la
transgression, c'est un genre qui propose l'abolition des frontières, entre les
sexes, les genres et les gens. C'est donc un cinéma qui heurte ce monde
cloisonné où l'étranger est devenu un indésirable, un paria, où cet étranger
rejeté est d'abord l'autre en soi, celui que la société fait taire, la part
féminine chez un homme, la part masculine chez une femme. Mais aussi la part de
folie voire d'enfance que l'adulte dit "civilisé" doit étouffer en
lui. Le cinéma "queer" dont je prétends faire partie est aussi un
cinéma de la transgression formelle, et les plus grands cinéastes
"queer" comme KENNETH ANGER, JAMES BIDGOOD ou LIONEL SOUKAZ sont
aussi de grands formalistes. Un bon cinéaste "queer" doit savoir
casser les esthétiques, les formes, les genres cinématographiques. J'ai
toujours été fasciné par l'éclatement des frontières. Celles du corps d'abord.
Quand j'étais jeune j'étais fan de films gore où l’éclatement des frontières
corporelles est roi ! Ah, la vue de l'intérieur d'un corps qui dégoûte le
commun de mortels, moi, elle m'a tout de suite plu ! Avant même les films
"gore", j'aimais dessiner, enfant, des représentations de corps
éclatés et ensanglantés ! Plus tard, après la découverte du cinéma d'auteur (LA
NOUVELLE VAGUE et aussi LELOUCH) et du cinéma expérimental, j'ai découvert
l'art corporel qui m'a fortement influencé quand j'ai réalisé OMELETTE : Michel
Journiac, Gina Pane... Puis le BODY ART d'ORLAN, artiste de l'hybridation par
excellence... La robe en viande de Jana Sterbak ("Vanitas : Flesh Dress
for an Albino Anorexic), créée en 1987, m'a donné moi aussi envie de montrer ma
chair à vif... Puis il y a aussi l'éclatement des frontières de l'esprit,
celles qui font taire notre flux de conscience et l'inavouable... Inspiré par
Hervé Guibert dont j'étais fan et qui avait dit cette fameuse phrase "je
mourrai et je n'aurai rien caché", mon but, quand j'ai débuté dans le
cinéma au début des années 1990, était d'exposer ce qu'on se refuse de voir
habituellement : les pensées négatives que l'on peut avoir sur ses proches
par exemple... Mes films sont souvent des juxtapositions
"monstrueuses" de plusieurs genres cinématographiques. Mon
ambition en réalisant OMELETTE était de casser les frontières entre cinéma
expérimental et cinéma industriel : je voulais tirer l'un vers l'autre de telle
sorte qu'ils se confondent. J'avais à cette époque la prétention de m'inscrire
dans l'histoire du cinéma expérimental en inventant une nouvelle forme de
film-journal : le « film-journal-narratif-classique-grand-public ».
Ensuite mon film MES PARENTS a été conçu comme un collage étrange (un autre
sens du mot "queer") et comique entre l'émission télé STRIP-TEASE, le
film d'horreur et la comédie sentimentale. Pour mon film L'ŒUF DURE, faux
journal qui clôt ma "trilogie de l' œuf", le critique du MONDE
Jacques Mendelbaum écrivait à juste titre : « Quant à son "journal" proprement dit, il brouille
tellement les cartes entre documentaire, fiction, reconstitution fictionnelle
d’un matériau documentaire qu’on hésite franchement à l’identifier comme tel. »
Le même critique a décrit mon film LE CHANTEUR comme un film qui « jouerait à la fois la carte du mélo
grand teint, du réalisme populaire, du libellé expérimental et de la fierté
homosexuelle. » La plupart de mes films, qui sont donc souvent des
tentatives de « décloisonnement des genres », jouent aussi sur
l'ambiguïté vrai / faux, qui est ma marque de fabrique ! Donc, pour toutes ces
raisons, je pense que je suis un cinéaste "queer", c'est-à-dire, pour
résumer, un cinéaste qui aime les sexualités différentes de la norme et qui
veut abolir toutes les frontières.
•
Que penses-tu du role et de la pertinence des festivals de cinéma queer ?
Mon tout
premier film L’Hospitalière (1992) a tout de suite été sélectionné dans
un festival de film (sur le sida) en 1992 et y a gagné une petite médaille. Ce
film court comparait la situation des
personnes atteintes du sida à celle des personnes internées dans les camps de
concentration : une vieille dame coud sur le vêtement d’un homo une étoile
non pas jaune mais en forme du virus du SIDA. En tant que réalisateur en
herbe, j'ai tout de suite été convaincu de l'utilité des festivals de films
LGBTQI en tant que tremplins vers la visibilité. En 1991 et 1992, en pleine hécatombe du SIDA, je voulais que mon journal
filmé, qui a conduit à la naissance de mon film-journal OMELETTE, soit une
sorte d’autothérapie (laisser une trace de soi sur terre) mais aussi un acte
militant généreux : qu’il serve à ouvrir les yeux des gens intolérants,
d’où la volonté de créer un « film-journal-narratif-classique-grand-public ». Mon militantisme s’exprimait aussi à travers mon
engagement culturel et politique au sein du Cinéma National
Populaire (CNP), association la plus engagée des cinémas Studio de Tours* (ville
où j'ai vécu de 1987 à 1996) dont je suis devenu membre au début des années 1990.
Nous organisions des séances-débats en tous genres. Étant ouvertement gay, même si je n’avais pas encore
fait mon coming-out auprès de ma famille, j’élaborais des séances autour de
l’homosexualité ou des projections de films expérimentaux "queers"
(ce qui me permettait de les voir également !).
C’est aux cinémas Studio que j’ai rencontré Philippe Perol qui est vite devenu
un de mes meilleurs amis. Celui-ci militait au sein de La Maison Des
Homosexualités de Touraine, où j’ai donc également milité. En 1992, la
répression homosexuelle à Tours battait son plein. L’Hospitalière commençait d’ailleurs par une avalanche de
citations de personnes qui m’avaient révolté. Il y a bien sûr la fameuse phrase
de Le Pen sur les sidatoriums mais également celle d’une adjointe au maire de
Tours qui avait dit à propos d'une soirée gay organisée à Tours : « Je
suis contre la distribution gratuite de préservatifs. Pourquoi pas une soirée
avec drogués et distribution de drogues ? »
A la suite de ces propos, j’avais eu envie de réagir en faisant ce petit film
militant, mais aussi en organisant une manifestation avec les membres du Point
Gay de Touraine dont Olivier Drouault. Je ne sais plus comment est née l'idée
de créer un festival de films LGBTQIA+. Était-ce le prolongement pour moi de
mon action militante au sein du CNP ? Quoi qu'il en fût, le premier
festival LGBTQIA+ de Tours a eu lieu au
cinéma Studio en janvier 1993, il s'appelait alors Autres désirs... Pour cette 1ère
édition, certains abonnés des Cinémas Studio avaient déchiré leur carte en
signe de protestation mais le plus grand cinéma indépendant d’art et d’essai de
France n’a jamais lâché le festival qui a acquis au fil des ans une réelle
légitimité. Aujourd’hui c’est le plus ancien festival LGBTQIA+ de l’hexagone.
Juste après ce premier festival qui fut un réel
succès, j’ai tourné début mars 1993 mon premier long métrage OMELETTE avec mes
ami.e.s militant.e.s de Tours. Après avoir terminé le film en octobre 1993,
j’ai bien sûr pensé que notre festival Autres désirs pouvait être le tremplin pour le faire connaître...
Michel Cressole, alors journaliste à Libération, pour la deuxième édition de ce
festival, a décidé d'aider notre combat local en rédigeant un article
important dans les pages "société" de Libération intitulé « 22
films gays à Tours », qu’il terminait
en encensant OMELETTE : « c’est du Rimbaud en Super 8. » Ma joie fut immense : non seulement cela
donnait une visibilité énorme à mon film, mais c’était aussi une grosse
publicité pour notre festival qui ne pouvait se permettre aucune promotion car
sans aucune subvention. Et c’était surtout une bonne « claque dans la
gueule » pour ces tenanciers de l'homophobie qui
siégeaient à la Mairie de Tours depuis des décennies… Honte à eux qui ne
reconnaissaient pas l’existence d’un festival maintenant reconnu au niveau
national ! Pour cette deuxième édition, j'expliquais dans un journal local,
Le ligérien, qu'on voulait « éviter les pièges que l'on trouve
parfois dans le militantisme homosexuel : phallocentrisme, culte des
stéréotypes, misogynie. » On voulait créer un festival qui
combatte l'existence d'un système patriarcal singulier avec « une
société dont l'idéologie dominante est mâle, blanche et bourgeoise. » (édito
du festival Autres désirs 1994). Voilà pourquoi j’ai tenu à créer ce festival avec Philippe Perol :
pour lutter contre le retour à l’ordre moral et l'obscurantisme, mais aussi
pour diffuser des œuvres qui décloisonnent les genres, les formes
cinématographiques et les sexualités. Ces objectifs sont pour moi les deux buts
essentiels d'un festival de cinéma queer...
• Quels
sont les films queer qui t’ont le plus enthousiasmé ?
MES CINQ
FILMS QUEER CULTES sont
• Mon
copain Rachid
de Philippe Barassat (1997)
• Pink Narcissus
de James Bidgood (1971)
• Silverlake, vu d’ici
de Tom Joslin & Peter Friedman (1993)
• La Vierge des tueurs
de Barbet Schroeder (2000)
• Maurice
de James Ivory (1987).
Récemment
j'ai adoré Pornomelancolia de Manuel Abramovich, avec le
talentueux et émouvant Lalo Santos (avec lequel j'ai eu la chance de tourner
une scène au Mexique en 2018). Le film aborde la pornographie comme un point de
départ pour réfléchir à la frontière entre l’intime et le public, le réel
et le virtuel, et surtout le vrai et le faux. Un film que j'aurais aimé réaliser
donc, puisque la confusion vrai / faux est ma marque de fabrique !
•
Que penses-tu de la place des personnes trans dans le milieu du cinéma
queer ?
Citez-moi le nombre de trans à qui on confie des budgets importants ? A
part les sœurs Wachowski (qui ont conquis d'abord leur place dans le monde du
cinéma en tant qu'hommes), il n'y a que des cinéastes trans indépendants et
hors système qui réalisent leurs petits films, tant bien que mal, avec leurs
propres moyens... Et ce sont souvent des documentaires autoproduits, faits à la
maison, réalisés grâce aux avancées technologiques qui permettent de faire un
film sans argent, avec un ordinateur, un petit logiciel de montage et une
caméra HD basiques...
Commentaires
Publier un commentaire